"L'affaire". Reportage de Rémi Mauger, Fr3

vendredi 11 mars 2011

LA PESTICIDE dans Le magazine l'EXPRESS

La démocratie n'est pas un acquis mais une lutte de chaque instant. Joelle Guillais
C'est parce que nous résistons _ chacun à notre façon_ que le monde évolue. Il y a dix ans, nous n'étions pas nombreux à parler des pesticides. Aujourd'hui, après avoir crié seulEs dans le désert, l'écho s'amplifie. A votre tour, faites résonner nos efforts en découvrant l'article d'annabel benhaiem paru dans L'EXPRESS.

http://www.lexpress.fr/actualite/environnement/pesticides-le-combat-de-joelle-guillais_968195.html


TOUS LES JOURS, TOUTE L’INFO

Par Annabel Benhaiem, publié le 05/03/2011 à 14:00

Depuis que l'historienne a raconté, dans l'un de ses romans, le suicide d'un éleveur spécialisé dans les porcs nourris aux hormones, elle est devenue la pestiférée de sa région natale.

Joëlle Guillais n'aurait jamais dû tremper sa plume dans la terre de son enfance. Au fil de ses pages, cet écrivain a dénoncé de 1998 à 2006 l'utilisation d'engrais chimiques et de pesticides dans l'agriculture. Pire, elle a étalé au grand jour les connivences entre l
'industrie phytosanitaire, les syndicats, les banques et les élus locaux. Ses coups de pied répétés dans la fourmilière n'étaient pas sans risque. Ils lui ont valu de sévères représailles: intimidations physiques, insultes, installation illégale d'une cinquantaine de vaches dans le hangar mitoyen de sa propriété.
La romancière Joëlle Guillais.
DR
En dépit de ses cheveux de jais sagement tressés, la romancière, originaire d'Alençon (Orne), n'a rien d'une petite fille modèle. Elle ne plie pas sous les coups. Ne se tait pas quand on le lui demande. En 1988, elle publie La Berthe chez Plon, dans la continuité de son travail sur le monde paysan, entamé quelques années plus tôt avec sa directrice de thèse,
l'historienne Michèle Perrot. Ce récit d'une femme agriculteur à l'aube du XXe siècle, qui se débat contre les préjugés machistes, se vendra à plus de 210 000 exemplaires. Un best-seller.
Pas de porcherie chez nous
La même année, Joëlle Guillais décide de s'installer alors à Saint-Mard-de-Réno dans le Perche, sa province natale, à 150 kilomètres de Paris. Hasard du calendrier, dans le village voisin, un projet d'implantation d'une porcherie industrielle voit le jour. Qui dit industrie porcine, dit
pollution chimique. Les petits exploitants du coin sont vent debout contre le projet. Joëlle Guillais s'associe à eux. L'entente fonctionne et les paysans s'ouvrent à elle. Ils sont fatigués de souiller leur terre à coups d'intrants. Le rendement, toujours le rendement...
De leurs témoignages naît un deuxième roman,
La ferme des orages paru en 1998 (Robert Laffont). Le livre, écoulé à près de 30 000 exemplaires, fait l'effet d'une bombe. Les agriculteurs se reconnaissent dans cette écriture volontairement neutre. Un pavé dans la mare, à une époque où les auteurs du monde rural oscillent entre des représentations angéliques ou bien peu flatteuses.
L'écrivain y démonte aussi les rouages corrodés de ce monde. Les petits exploitants agricoles sont pressés par une oligarchie avide, à dépenser, à s'agrandir, à s'endetter. Une spirale infernale qui pousse le personnage principal du roman à se suicider dans une cuve de fumier...
Ressemblances malheureuses
Problème, certains notables de la région se reconnaissent dans les héros du roman de Joëlle Guillais. Le Perche est un tout petit village. Ainsi, page 69, la description du maire s'inspire-t-elle directement de la réalité: "François Garnier n'était pas seulement propriétaire de sa ferme et de son cheptel, il était aussi maire de Saint-Hommeray, président de la Caisse agricole, membre de la Chambre d'agriculture, membre du syndicat, enfin administrateur de la Fédération porcine et agriculteur par erreur."
Dans la même veine hyperréaliste, l'auteur pourfend les élevages hors sol, issus de l'agriculture intensive. Les animaux qui ne paissent plus dans les prés alentour, sont réduits plus tard à de la chair à pâté.
Vaches punitives
Les effets de la parution de l'ouvrage sont doubles: confortée auprès des paysans comme leur porte-drapeau, Joëlle Guillais devient, auprès des notables, l'infréquentable.
Pire, une cible. Sa maison jouxte un hangar appartenant à Rémi Guillochon, un agriculteur du coin. L'homme a une quarantaine d'année. Il est petit, nerveux, a les manières un peu frustes et les mains calleuses d'un homme de la terre. Il est aussi employé au GAEC de l'Etoile, un groupement agricole d'exploitation en commun très influent dans la région, et riche de 500 hectares de terre. Les associés de ce GAEC ont des amis partout: à la FNSEA, le syndicat paysan majoritaire, à la chambre d'agriculture de l'Orne, au Conseil aux entreprises agricoles et rurales (CER), et mêmes chez les assureurs Groupama.
Sans en informer Joëlle Guillais, Rémi Guillochon place dans son hangar une cinquantaine de vaches allaitantes. Des nouvelles voisines pas très causantes, fort polluantes et dont les déjections sont entassées à la va-vite, laissant s'écouler un jus malodorant dans le cours d'eau environnant. La fiction devient réalité: ce que l'écrivain dénonçait dans son roman se déroule sous ses yeux.
Un avocat à 500 euros de l'heure
La réglementation en vigueur interdit pourtant l'hébergement d'animaux d'élevage à moins de 35 mètres d'une habitation, d'un puits ou d'un cours d'eau.
Sollicitée par Joëlle Guillais en 2003, la
Direction départementale des services vétérinaires (DDSV) se déplace pour constater les infractions. L'accueil est soigné. Plusieurs personnes "non invitées" attendent en effet de pied ferme devant l'étable. Parmi elles, l'employeur de Rémi Guillochon, Gilbert Simoën, deux représentants des assurances Groupama, dont le maire d'une commune voisine, Maurice Aguinet, et l'ancien propriétaire du hangar. Cette méthode d'intimidation n'empêche pas l'inspecteur de la DDSV de relever 9 infractions. Joëlle Guillais porte l'affaire devant le tribunal de grande instance d'Alençon. Mais elle n'obtient pas gain de cause.
La défense de Rémi Guillochon est alors assurée par le puissant cabinet
Francis Lefebvre, qui facture chaque heure de travail à 500 euros en moyenne. Les subventions de la PAC sont-elles si élevées qu'un petit exploitant du Perche puisse s'offrir les services d'un consortium de renommée internationale? Contacté par téléphone, le prestigieux cabinet parisien reconnaît sans peine avoir été mandaté à l'époque par les assurances Groupama. L'écrivain fait appel.



"Notre sol est mort"
Six mois plus tard, en 2004, Rémi Guillochon comparaît devant un tribunal de police, pour répondre des neuf infractions relevées dans son hangar. Nouvelle relaxe. Qui choque l'inspecteur de la DDSV. Aujourd'hui à la retraite, sa parole est libre. Un bol de thé à la main, un petit gâteau sec dans l'autre, Erick Dorison a une furieuse envie de livrer sa vérité. "Le maire de Saint-Mard-de-Reno aurait dû dire à M. Guillochon que son étable ne respectait pas les normes, commence-t-il. Mais il n'a pas bougé. Pourquoi? Le directeur de la
chambre d'agriculture de l'Orne non plus." L'inspecteur marque une pause, mordille sa lèvre inférieure. Puis, il reprend, enhardi: "Ils ont plus à gagner en restant en bons termes avec les gens du crû, qu'en satisfaisant Joëlle Guillais."
Enfin, l'inspecteur se lance dans un véritable réquisitoire contre les techniques agricoles actuelles. Comme la romancière, il accuse la région d'avoir laissé tomber l'élevage traditionnel, dopé les champs à coup d'engrais chimiques et autres produits phytosanitaires. "Le maïs, juste bon à engraisser les bêtes parquées, a remplacé les autres cultures, peste-t-il. Trouver cette plante au nord de la Loire est une erreur biologique, un désastre pour l'agriculture. Mais un bonheur pour Monsanto, Bayer et les autres fabricants de pesticides." Cultivé en été, le maïs laisse les sols nus l'hiver. Dès lors, les excédents d'intrants partent dans les eaux superficielles et causent à terme
l'entrophysation: un mélange d'azote et de phosphore qui participe à l'extinction de la vie dans l'eau, en pompant l'oxygène. "Notre sol est mort. Bien mort.", lâche l'inspecteur.
Menaces
Après son échec devant les tribunaux, la romancière persiste et signe Mauvaises nouvelles littéraires, en 2006, une autobiographie publiée à compte d'auteur. Elle y témoigne des menaces et des insultes dont elle se dit victime depuis le début de l'affaire. "La compagne de M. Guillochon a tenté d'écraser mon mari, se remémore-t-elle. Il a pu éviter la voiture, mais elle a redémarré aussi sec et a foncé vers notre chien." Joëlle Guillais prie pour qu'on la croie. "J'ai moi-même été projetée dans le fossé par un tracteur lors d'une balade à vélo sur les routes du Perche", ajoute-t-elle. Faute de témoins, ses deux plaintes sont classées sans suite. La même année, paraît La Pesticide (Jean-Paul Rocher éditeur), un brûlot contre l'usage de la chimie en agriculture.
En 2007, le vent tourne. Rémi Guillochon est condamné en appel à verser 8000 euros de dommages et intérêts à la romancière. La somme est payée rubis sur l'ongle, le lendemain du délibéré. Mais de transfert d'élevage, toujours point.
Sous couvert d'anonymat, l'un des notables alençonnais minimise le problème: "Allons... il n'y a pas d'affaire Joëlle Guillais. Cette femme est folle. Elle fait juste un peu de foin avant ou après la sortie de ses livres. Comme par hasard."
"On nous a à l'oeil"
A bout, la romancière décide d'entamer en 2009 une grève de la faim. Elle organise une réunion d'information dans sa maison. Terrorisés, ses proches voisins n'osent pas s'y rendre. L'un d'eux laissera ce mot dans sa boîte aux lettres: "Surtout ne parlez pas de nous personnellement, on nous a l'oeil." A l'issue de la rencontre, un comité de soutien est créé. Il s'intitule "
Une vacherie sans nom".
Depuis 2006, Joëlle Guillais n'écrit plus. Elle anime seulement des
ateliers d'écriture. Après l'eau et les végétaux, les pesticides s'en sont pris à sa plume. Et l'ont asséchée. Pour le moment.

LE PERCHE REND HOMMAGE A JOELLE GUILLAIS

Un article de Julien Cendres


Sociologue et docteur en histoire de la criminologie, Joëlle Guillais
est l’auteur de nombreux livres : La Chair de l’autre (le crime passionnel
au XIXe siècle), La Berthe (la lutte des classes et des sexes dans le
bocage), Agnès E. (la délinquance et la condition carcérale des
femmes), La Prime aux loups (la paysannerie sous l’Ancien Régime),
La Teinturerie (le téléphone rose), Barbie rousse (la mutation économique
de la société contemporaine), Mauvaises nouvelles
littéraires (l’engagement de l’écrivain et la liberté d’expression), etc.
Mais elle est aussi l’auteur d’un « crime » : une série romanesque à
grand succès (La Ferme des orages, Les Champs de la colère et
La Pesticide) décrivant le désastre écologique produit par un demisiècle
de politiques agricoles à courte vue – et comment les paysans,
attachés depuis toujours à apprivoiser autant qu’à valoriser la
nature, sont aujourd’hui incités à la détruire… Un crime qui vaut à cet
écrivain rebelle de subir, depuis plus de dix ans et dans l’indifférence
quasi-générale, les violences d’agriculteurs convaincus de devoir lui
faire entendre « raison » !
Femme, écrivain, folle : du pareil au même, tout mal considéré. Trop
régionale pour les médias parisiens, trop parisienne pour les médias
régionaux. Ses dernières nouvelles paraîtront bientôt dans la rubrique
des écrivains écrasés… Julien Cendres
© Martin Schreiber
mars
Pays du Perche hors-série 2011
font
qui 100 lePerche
Joëlle Guillais
La Poison des empoisonneurs


2 commentaires:

  1. Bonsoir Madame
    Je viens de mettre aujourd'hui en ligne sur facebook l'article de l'express que vous mentionnez !
    Dans le cas ou ça pourrait vous être utile, je vous transmez ci-dessous un lien internet concernant une association de protection qui milite contre les pesticides et pourra sûrement vous aidez dans votre combat pour la democratie !
    - http://www.mdrgf.org/
    Ainsi que pour information :
    - http://www.semaine-sans-pesticides.com/
    Cordialement
    M. COULMAIN Christian

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  2. Bonjour Joëlle,
    Je te donne l'information si tu ne la connais déjà: Marie-Monique Robin, réalisatrice et scénariste; mène également un combat contre l'utilisation des pesticides dans l'agriculture et l'utilisation abusive de produits nocifs dans l'alimentation. Elle en a fait plusieurs documentaires dont le dernier est "Notre poison quotidien". Il y a une interview d'elle dans un Télérama uue l'on peut lire sur Internet. Sans doute es-tu déjà au courant, mais à tout hasard... Amitiés

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